L’Adees (association de développement des études économiques et sociales), outil économique de la Cgt, a entrepris un travail d’étude de la question des transitions industrielles à partir de l’articulation entre travail, emploi, production et innovation. Réalisé en 2016, ce travail repose sur des monographies et des échanges réalisés avec des responsables syndicaux et des consultants de cabinets d’expertise intervenant auprès de Comités d’Entreprises d’entreprises industrielles.
Une politique publique industrielle en perpétuel changement
Suite aux Etats Généraux de l’Industrie lancé en 2009, le gouvernement français avait impulsé une politique de filières industrielles, avec la mise en place de comités stratégiques de filière nationaux mais aussi, pour certains, régionaux. Cette évolution s’inscrivait dans la continuité de la création par l’Etat des Pôles de compétitivité en 2004, regroupant sur des territoires bien identifiés et sur des thématiques ciblées (généralement en lien avec la filière) des organismes de recherche, des organismes de formations et des entreprises.
A cette organisation de la politique industrielle autour de filières ont succédé ou plutôt se sont superposés de nouvelles politiques publiques. En 2013 le nouveau gouvernement a lancé son programme de la « Nouvelle France Industrielle » articulé autour de « 34 plans industriels », chacun d’eux piloté par un patron d’un grand groupe et dédié à la spécialisation sur des productions et technologies clés. Couplé au lancement français du programme européen « horizon 2020 » en 2013 et à sa déclinaison en régions dans le cadre des stratégies régionales d’innovation et spécialisation intelligente (SRI-SI), la politique industrielle française a amorcé un virage la détournant de la stratégie de filière, cette nouvelle organisation devant constituer le schéma pour drainer les financements publics et notamment les fonds du programme d’investissement d’avenir.
Après le remaniement ministériel de 2014, le programme de la nouvelle France Industrielle se resserre en 2015 autour de neuf « solutions industrielles »qui remplacent, en les concentrant, les 34 plans industriels lancés deux ans auparavant.
L’« industrie du futur » (reprenant et débordant l’ancien plan « usine du futur ») constitue la colonne vertébrale de ce nouveau programme et se veut transversale aux neuf solutions industrielles. Ces neuf plans et l’industrie du futur constituent l’armature de la nouvelle politique industrielle, les comités stratégiques de filière s’organisant autour de ces plans. Par exemple, « l’Union des Industries chimiques (UIC) et la Fédération de la Plasturgie, membres du comité stratégique de la filière Chimie et matériaux, ont rejoint l’Alliance Industrie du Futur. Le comité Innovation au sein du CSF Chimie et Matériaux, coordonne les actions d’innovation de la filière. Les premiers axes de travail retenus portent sur les bâtiments durables,- les transports du futur, le stockage de l’énergie, la fabrication additive et l’apport du numérique »
L’innovation et les « technologies clés » : l’assimilation de la politique industrielle à la politique d’innovation
Ce resserrement sur les neuf solutions industrielles innovantes s’organise lui-même autour d’un resserrement de l’innovation sur des « technologies-clés » considérées comme centrales pour un certains nombres d’applications. Partant d’un recensement de 574 technologies développées dans les différents pôles de compétitivités et plateformes d’innovation, la Direction générale des entreprises (DGE) a réduit à 47 le nombre de ces technologies-clés.
La démarche adoptée est basée sur une approche « market pull » plutôt que « technology push ». Pour résumé, les besoins sont ici considérés non pas comme des besoins sociaux construits et débattus collectivement mais sont réputés entièrement déterminés par le marché. Le travail de prospective de l’innovation s’articule alors « autour des besoins du marché et non plus à partir de familles technologiques » (Direction générale des entreprises 2016, p. 18). L’étude de la DGE occupe une place centrale pour le programme Industrie du futur puisqu’elle « constitue un guide opérationnel pour les solutions de la Nouvelle France Industrielle ».
En somme, l’orientation de la politique industrielle est victime d’une triple réduction. D’abord, elle poursuit une tendance engagée depuis plusieurs années d’assimilation de la politique industrielle à la politique d’innovation, l’effort étant porté sur les premières phases de l’industrialisation (démonstrateurs, pilotes, prototypes). Le développement du tissu industriel est ainsi rabattu sur la promotion des « écosystèmes d’innovation », au détriment du moteur industriel que constitue la production.
Ensuite, l’innovation est elle-même resserrée sur les technologies-clés de plus en plus considérées comme indépendantes des filières industrielles dans lesquelles elles sont à terme appelées à être mises en production.
Enfin, la réponse de l’industrie aux besoins est uniquement déterminée par le marché, abstraction faite de besoins collectifs démocratiquement négociés et débattus.
Le resserrement en cascade des politiques industrielles portées par les pouvoirs publics masque la complexité des transformations de l’industrie et de ses dynamiques. Dans une logique simplificatrice, l’innovation est présentée comme une fin en soi, l’objectif absolu et la réponse à toutes les difficultés du secteur. La promotion des « éco systèmes d’innovation » dans le discours politique est caractéristique. Elle est pensée pour elle-même, sans lien avec la production industrielle
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Ancien lien : https://www.cgt-aura.org/spip.php?article1324